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Accueil du site > Grand Voyage > Asie > Escales exotiques - Dansons la javanaise

Rubrique : Asie

Dans cette rubrique on trouvera également :    (2 articles)

Escales exotiques - Dansons la (...) Escales exotiques - La danse (...)

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Escales exotiques - Dansons la javanaiseVersion imprimable de cet article Version imprimable

Publié Mars 2018, (màj Mars 2018) par : Collectif Salacia   

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Mots-clés secondaires: navigation_divers , Traditions_cultures

NDLR merci à “Kerdubon” capitaine, marin, conteur et explorateur...

Escales exotiques
Dansons la javanaise

Il faut bien vous dire que je suis un menteux né ! Un menteux n’est pas un menteur ! C’est un arrangeur, un embellisseur de réalité, un galéjeur un peu de… Marseille, à la façon de Marius et Olive, pour que les choses soient plus agréables. Il agit en adoucisseur des aléas de la vie pour ses camarades du banc de nage de la galère qui nous a embarqués et forcés à suivre son cours jusqu’au naufrage final… ceci sans notre consentement. Etre ou ne pas être ? Qu’aurions nous choisi si nous avions eu la possibilité ?

Dès que j’ai su lire, j’ai dévoré les livres et forcément découvert que la vie était passionnante au-delà de mon nombril jusqu’alors centre du monde. En exote … autrement dit en amateur d’exotisme… tout comme se prétendait être Victor Segalen, depuis mon plus jeune âge : « l’autre », de préférence étranger m’a attiré. Je voulais savoir sa façon d’être, de vivre, ainsi que sa culture. Il me fallait donc voyager. Le navire est le meilleur moyen pour petit à petit se détacher de son cordon ombilical et renaître doucement ailleurs. Les voyageurs modernes avec les avions ne connaissent pas cette jouissance particulière de voir grandir une île et ses gens sur le quai qui vous font des gestes d’invite et d’amitié !

La ligne

Sur les cargos, dans les années 50/60, nous étions trois lieutenants au pont. Les escales duraient plusieurs semaines selon la cargaison à prendre ou débarquer. Les ports ne travaillaient pas la nuit, les dimanches et jours fériés… le profit s’il était malgré tout de règle, n’était pas associé à la montre, chaque colis était répertorié, arrimé un par un en cale, on n’avait pas idée de ce que serait un jour le « conteneur » devenu commun, même pour transporter des sacs de ciment ! Je ne veux pas dire que… “en ce temps-là !”… c’était le bonheur, mais force est de constater que les gens prenaient davantage le temps de vivre, les marins en particulier, ça c’est évident... mon cher Watson !

Nous étions de trente à quarante hommes sur un « général cargo » ordinaire… Lors de l’un de mes derniers commandements, nous étions seulement treize à bord, sur un navire plus gros et beaucoup plus rapide que les « liberty-ships » de ma jeunesse !… Il n’y a pas photo, il n’y a plus de découverte exotique, vous savez tout sur internet et la TV vous montre les dessous cachés de tout… le reste !
En escale, nous étions “service au port” avec un lieutenant pour le pont et un officier mécanicien pour la machine. En groupant nos jours de service, on pouvait ainsi facilement partir en virée hors du navire pour plusieurs jours, le commandant était d’accord, il avait confiance en nous, nous étions jeunes mais déjà responsables.
Je vais donc… mes amis… vous entraîner dans l’une de ces virées exotiques, et... vous faire danser... la javanaise !

Notre cargo sur la ligne tour du monde avait chargé à Hong-Kong du matériel militaire que Mao envoyait à son ami Soekarno, le dictateur sanglant, alors adulé par nos intellectuels européens. Les autorités indonésiennes étaient donc très accueillantes et avaient même mis une jeep à notre disposition, ainsi qu’un guide chauffeur, muni de tous les permis nécessaires pour que nous puissions aller de Jakarta, dans l’ouest de Java, à Surabaya, dans l’est, par la route à peine carrossable des crêtes, passant en pleine jungle non loin des sommets de l’île. Le guide était un vieux baroudeur parlant bien anglais qui avait participé à la libération de son île alors hollandaise. Il avait rempli la voiture de jerrycans d’essence, dissimulé un grand stock de nos cartouches de cigarettes pour les trocs indispensables sous un faux plancher et planqué à portée de main une Sten qui nous effraya, cette mitraillette ayant la réputation de cracher sa purée sans qu’on la sollicite.

Peu avant le coucher du soleil, très haut dans les montagnes à une vingtaine de kilomètres de Wonosobo, la ville qu’on s’était fixée, on arriva sans s’en rendre compte au cœur d’un village, dont les maisons à flanc de coteau, dissimulées par la verdure, étaient perchées sur des pilotis pour les rendre horizontales. Les ouvertures pratiquées dans les toits à forte pente laissaient échapper de lourdes fumées. Nous arrivions à l’heure de la confection des repas, cela sentait le riz cuit et le curry. Une chicane faite de planches avec d’immenses clous, placée en travers du chemin, nous empêchait d’avancer davantage. Sur les plates-formes ceignant les maisons de bois, des hommes nous surveillaient d’un air peu tendre... Dans quel piège nous étions-nous fourrés ?

L’équipée montagnarde

Un petit groupe d’hommes enturbannés et vêtus de sarongs propres, armés d’arcs et de sortes de javelots, nous attendait. Leur chef avec son turban de pirate malais, ses cartouchières passées autour du cou puis sous l’épaule, avait une pétoire du genre escopette sicilienne. Un autre avait un fusil de chasse ancien et des cartouches en bandoulière. Ils nous donnèrent une poignée de main en silence... avec leur main gauche, car leur dextre se balançait négligemment à la portée d’un redoutable kriss passé dans une ceinture faite d’une bande de toile roulée. Estimant que nous n’étions pas un danger potentiel, les visages fermés se détendirent et esquissèrent des sourires. Le chef du groupe, probablement chef du village, nous fit un discours de bienvenue. Il nous invita à venir partager les repas des hommes, nous précisant que nous serions hébergés pour la nuit. Il ajouta qu’une bande de militaires avait été repérée, qu’ils devraient bientôt les affronter, peut-être même demain... ce qui ne serait pas sans danger pour des observateurs étrangers... le gouvernement de Soekarno n’aimant pas montrer à des Européens que dans les coins reculés des montagnes, il y avait des groupuscules rebelles, opposés au régime et à l’islamisation forcée.

  • Selon notre guide : Depuis des siècles, ces anciens guerriers vivaient de la chasse, de la cueillette et de quelques plantations. Les Hollandais ne les avaient jamais embêtés... sauf une fois où ils avaient injustement été accusés de cannibalisme ! Ce ne serait pas les fantoches de pacotille de Jakarta, qui viendraient leur imposer leurs lois !… De plus... ces groupes ethniques isolés sont en voie de disparition et leur savoir séculaire risque de se perdre !… Ils ne parlent pas javanais, c’est évident !...
    • Et vous les comprenez ?
  • Certes !... Ils parlent un dialecte sundanais que je comprends, ma nourrice était de cette région, au pied du Slamet qui culmine à trois mille quatre cents mètres... c’est-à-dire environ mille mètres au dessus de nous !... c’est le moment de sortir quelques cartouches de Lucky-Strike des caches de la jeep... et nous serons les rois du village !

Les femmes nous entraînèrent vers l’une des cases laissant échapper par sa porte ouverte un nuage de vapeur. On se regarda en riant.

  • Ne vous méprenez pas, n’ayez surtout pas de gestes osés... elles nous mènent au bain traditionnel… cela détend... vous verrez !… nous prévint notre chauffeur.

Sous le regard de duègnes âgées qui souriaient en montrant des chicots rougis par du bétel, des jeunes filles nous menèrent un par un dans des espèces de boxes séparés, où trônait un baquet d’eau fumante. Sans fausse pudeur, elles nous déshabillèrent, puis nous lavèrent... ou plutôt nous étrillèrent, nous rasèrent avec une lame de rasoir nue tenue fermement en main, nous peignirent et nous ceignirent d’un sarong, passant par-dessus une espèce de chemise sans col, sentant le bois et les fleurs sauvages. Quelle détente en effet après la rudesse et les cahots de la piste de cette voie de montagne. Pendant ce temps, d’autres femmes lavèrent nos linges souillés de sueur et de poussière.

Le village dans la montagne

Des torches de bois résineux illuminèrent la nuit bien tombée. Le repas entre hommes fut gai, car nos hôtes alternaient thé et alcool de riz, bu dans des verres... de bambou. La nourriture fut abondante et servie dans des demi-calebasses. C’était de la viande de porc avec du riz au curry, suivie d’une espèce de gâteau au riz et miel, puis de fruits frais, ananas, litchis mangues et bananes particulièrement délicieuses. Par le truchement de notre guide chauffeur, nous avons dû parler de la vie en Europe. Les indigènes ne pouvaient comprendre et s’étonnaient qu’on puisse être marins et s’éloigner de son lieu de naissance, vu qu’eux, ils menaient une vie tribale et communautaire. Pour eux, il était totalement impensable de s’éloigner de leurs montagnes, véritables mères nourricières, ainsi que de leur progéniture commune... car ils pratiquaient des unions libres et variées. Les missionnaires hollandais n’avaient manifestement eu aucun succès avec eux !

Question religion, ils croyaient que leur destin était entre les mains des mânes de leurs ancêtres qui avaient fondé ce village et qu’ils respectaient ou imploraient, à l’aide de petits autels extérieurs, où l’on déposait de la nourriture et des fleurs, que le vent dispersait, ou que les oiseaux, insectes et différents rongeurs avalaient. Lorsqu’on expliqua que nos ancêtres gaulois craignaient que le ciel ne leur tombe sur la tête... ils furent de cet avis, et dirent que lors des orages, c’était le moment le plus redoutable. Autrement, ils ne craignaient que les mauvais génies en nombre incalculable... puisque créés par les rêves des sorciers.
Le chef du village proposa de nous coucher dans des sortes de greniers sur piliers préservant des insectes, serpents et autres bestioles. Je n’avais pas pensé que le prix payé… une poignée de cigarettes, signifiait « chambre garnie », mais étant célibataires à 20 ans, l’aubaine était pour le moins charmante et l’hospitalité très… chaude !

Un feulement suivi d’un miaulement rauque m’avait tiré des bras de Morphée, tout en me gardant heureusement dans les bras de la gamine qui avait rejoint ma couche. Depuis les chats sauvages, les lynx et autres félins qui infestaient encore ces montagnes allez donc savoir s’il s’agissait d’un tigre ?
Étais-ce un cri de reconnaissance, ou bien de plaisir dans une copulation sauvage, ou encore de douleur, si la bête était tombée dans une fosse généralement garnie de bambous empoisonnés, piège tendu par les habitants tout aussi sauvages, se fichant de Sukarno et de sa clique indonésienne comme de leur premier sarong ! Je n’avais ni briquet, ni lampe torche. Je n’ai pu voir le visage de ma compagne, me contentant des mains tel un aveugle, pour apprécier… ses formes ! Elle partit avant l’aube, sans doute pour protéger sa dignité et sa réputation.

Malgré le ramdam nocturne des animaux en chasse, des chiens qui aboient et le fracas d’une averse tropicale sur le toit en nattes tressées, je m’étais endormi et n’ai pu ni l’embrasser encore une fois, ni lui dire merci ! A notre appareillage au matin, tout le village était là pour nous souhaiter bien des choses. Les femmes groupées autour du puits s’approchèrent… Je me disais : Toi que j’ai honorée mieux qu’une princesse et que je n’ai pas vue… J’ai le regret de n’avoir pu te dire que… je te connais, et te reconnaîtrai dans le portrait de toutes tes sœurs que je rencontrerai à travers les pays et les âges à venir !

La route de montagne

Par la route par endroits taillée à coup de dynamite dans le roc, faite de caillasses, de boues, de sable ou de poussière, avec des pentes effrayantes, des gués à franchir à toute vitesse pour ne pas caler au milieu, un arbre tombé en travers par-ci par là, et qu’il fallait pousser, ou tirer avec le treuil de la jeep, nous sommes descendus du sommet de la route des crêtes vers Surabaya où nous devions rejoindre le cargo qui avait fait la route assez courte sans notre présence à bord.
Nous sifflions ou chantions de joie, que la vie était belle ! De chaque côté, c’était la jungle des montagnes avec par places, un débroussaillage au brûlis laissant un sol roux parsemé de mousse verte et de fougères aux reflets bleus. Quelques fûts blancs épargnés par le feu s’élançaient esseulés vers la nue. Les eucalyptus géants nous abritaient des ardeurs solaires. Du côté de la pente, dans ces éclaircies, dans le lointain, la mer d’argent miroitait avec des couleurs de vieux étains. On ne voyait aucun être vivant en dehors des nuées de moustiques lorsque nous franchissions les ruisseaux.

Cependant nous avions l’impression que des yeux nous observaient et se demandaient quel était notre degré de nuisance avant de décider ou non d’une attaque. On se sentait au cœur d’une vie intense, celle de la lutte perpétuelle de l’instinct de survie contre la mort, de la recherche de nourriture ou de baise … l’instinct de conservation étant étrangement imbriqué avec celui de la reproduction. A un moment donné, le chauffeur freina brutalement. Devant le capot du moteur, indifférent, ou se demandant si notre masse de ferraille n’était pas un mauvais rêve, un serpent gros comme ma cuisse, de quatre mètres de long, traversant la voie en serpentant, s’était arrêté pour nous jauger, la tête en l’air, sa langue fourchue très agitée.

Le chauffeur regardait les frondaisons au dessus de nos têtes, car parfois des basses branches, un fauve, félin, ou autre animal, à moins que ce ne soit un paquet d’araignées venimeuses, pouvait nous tomber dessus. Finalement c’est un singe qui apparut un peu plus haut et jeta sur le boa un morceau de branchage. Le reptile se précipita alors sous les buissons épineux nous laissant le chemin libre et le singe nous cria des invites, à moins que ce ne soit des injures

Crémation

Dans cette fin des années 50, “Dieng” était un gros bourg de petite montagne. L’approche de la ville était animée par un marché. A voir les légumes et les viandes diverses étalées sur de larges feuilles de bananier à même le sol, on pouvait se dire que la famine ne régnait pas ici comme dans la capitale vitrine du dictateur Soekarno. On ne voyait ni soldat, ni milicien. Une forte odeur désagréable de mauvaise viande brûlée empestait l’atmosphère. Heureusement les boutiques bordant la rue unique et principale brûlaient de l’encens. La foule tellement dense à l’extrémité de cette rue, obligea notre Jeep à s’arrêter. Le guide se renseigna, puis se tournant vers nous dit :

  • C’est une crémation collective !... Le gouvernement musulman n’aime pas ces rites anciens et... barbares, mais les gens ici n’en ont cure !

Dans une cour s’ouvrant entre deux boutiques de drapiers aux tissus chatoyants servant pour la fabrication de sarongs, un bûcher immense crépitait. Au sommet de la pyramide de bois en feu, une vache en bois ainsi qu’une espèce de chien étaient déjà à moitié consumés. Ces animaux creux contenaient les cadavres que le feu purifierait, libérant les âmes pour une vie future. Autour de ce bûcher, d’autres tas de cendres encore fumantes montraient qu’en effet, la crémation se passait en collectivité, sûrement parce qu’à plusieurs, il est plus facile de trouver le chemin de l’au-delà, ainsi que celui de la réincarnation !

La foule recueillie murmurait des incantations et des sortes de prières en agitant le corps d’avant en arrière. Les gens tenaient de petits fagots d’encens qui brûlaient en ajoutant leur fumée à l’atmosphère générale. Une sorte de vendeuse de billets de loterie s’approcha de notre voiture. Sur les conseils de notre chauffeur qui donna l’exemple, nous avons acheté pour quelques roupies une grosse poignée de ces sortes de billets, valables dans un étrange jeu de Monopoly. Une autre femme vint ensuite nous délester de ces papiers sans valeur et partit les jeter dans le bûcher avec force gestes de remerciements, ainsi que des paroles incompréhensibles, mais de toute évidence reconnaissantes.

  • Ces liasses brûlées constitueront l’argent de poche de l’âme du défunt qu’on brûle. On lui évite ainsi d’errer pour parvenir... où il doit aller... L’âme rétribuera généreusement de sérieux indicateurs en cours de route et ne reviendra pas ici bas, pour tourmenter les vivants !

Des autres tas de cendres à peine refroidis, des femmes, probablement parentes des défunts, remplissaient de petits mouchoirs qui étaient immédiatement cousus. Elles les distribueraient à la famille et à ceux qui en voulaient... en souvenir. S’étant renseigné, notre guide confirma :

  • Les incinérations n’ont lieu que quatre ou cinq fois par an !
    • Mais alors ?... Que fait-on des cadavres en attendant ?
  • Probablement que les cercueils en forme d’animaux sont étanches !... Je n’en sais pas plus !... j’étais protestant comme mes parents... je suis maintenant musulman... comme papa Soekarno... et si demain je deviens Hindouiste... comme grand-papa Gandhi... je vous dirai comment cela se passe !... ajouta-t-il avec une sorte de petit rire... résigné, le rire de celui qui n’a jamais eu une foi de charbonnier !

Surabaya

Le retour après notre équipée montagnarde, se fit sans sans incident notable. Notre cargo était le seul navire au mouillage sur rade, l’escale était longue. J’aimais bien flâner dans ce port fait d’appontements en bois où une centaine de goélettes malaises embarquaient du bois scié, débité en planches ou madriers vers Singapour qui se bâtissait d’une façon démentielle, tandis que des boutres déchargeaient de la pacotille venant d’Hong-Kong où d’ailleurs, sous l’œil de douaniers et flics réclamant leur bakchich. Ces navires en bois étaient beaux et racés, parfois rapiécés grossièrement. Ils étaient sans moteurs. Leurs voiles étaient ferlées. Quelques-unes avaient été débarquées et étaient directement rapiécées sur le quai par les marins au turban remarquable. Un couturier avec machine à pédale antédiluvienne assistait les plus riches. Sa machine crépitait comme une mitrailleuse sous l’œil émerveillé de jeunes mousses à peine sevrés, toutefois porteurs d’un kriss impressionnant !

Sur le port, une grappe d’autres enfants s’accrochait à mes basques. Sorti mains dans les poches de mon short, vêtu d’un seul “marcel”, le tricot de peau prédécesseur des tee-shirts, sans Ray-bans ni montre, il n’y avait rien à me voler. Parfois je sentais une petite main explorer mes poches lorsque j’ôtais les miennes. Un marchand de canne à sucre attendait en vain les chalands derrière sa petite charrette à bras. Sous ma plante de pied, j’avais collé avec du sparadrap quelques roupies. Faisant mine de me gratter, j’ai quitté ma tong et extirpé en douce un billet qui apparut soudain devant les gosses étonnés par le miracle.

J’ai acheté une bonne provision de morceaux de canne à sucre gluante et je l’ai distribuée à la ronde, étonné de constater qu’il n’y avait pas de resquilleur. Il me resta un morceau. Avisant une mendiante, je lui ai donné et…. Les gosses m’ont engueulé

  • Elle est vieille, elle doit mourir !… me traduisit le marchand qui parlait un peu anglais.
    Il était ravi de sa vente, ayant gagné en une minute plus qu’il ne pouvait espérer dans une journée !

Le marché des voleurs

Le premier soir d’escale du navire, malgré les recommandations de l’agence, des matelots partirent en bordée. Ils allaient bien sûr boire de l’alcool de riz et de la bière, puis achever leur venue par une visite aux… petites dames de pas bien grande vertu. Hélas… C’était un nuage de fourmis... “volantes”... c’est le cas de dire... qui leur étaient tombés dessus à quelques centaines de mètres de la porte du port, sous l’œil indifférent des douaniers et flics armés de mitraillettes. Ils auraient dû cependant trouver bien étrange de n’avoir pas été fouillés à la sortie !... Ce petit monde de la pauvreté était décidément bien organisé... il y avait des retombées pour tous. Ils revinrent à poil… la queue basse, certains avaient des bleus et coquards en souvenir de la rouste ramassée.

Le navire était au mouillage à quelques encablures en face de Surabaya. Le golfe, bordé par la chaîne des volcans au sud se prolongeait sur 200 km dans l’est, vers l’île de Bali et était abrité par l’île élevée de Madura au Nord. Il miroitait comme une nappe de mercure, calme et parsemé de voiles. Le soleil déjà haut éclairait dans le sud, les hauteurs des volcans Arjuna, et Mahameru culminant à 3700 mètres. A leur pied, le Bromo un autre volcan en activité permanente, fumait.

A bord, les consignes de sécurité avaient été renforcées la nuit. Les matelots faisaient des rondes, toutes les portes des locaux étaient fermées à clé ou avec un cadenas. C’est alors qu’un beau matin, on s’aperçut à bord que des malfaiteurs avaient démonté la conduite de la ventilation du bureau pont qui débouchait dans une coursive extérieure. Par la minuscule ouverture ainsi pratiquée dans la cloison, sans doute un gosse avait pu pénétrer et ouvrir le hublot. La grande machine à écrire, servant à établir les très grandes feuilles mensuelles nécessaires pour calculer les salaires, récapitulatifs d’acomptes, délégations, primes, etc... avait été démontée de son socle, mise en pièces détachées et volée, ou plutôt envolée par le hublot !... C’était catastrophique pour le lieutenant papiers ! ; (L’écrivain -secrétaire- ayant été supprimé pour raison d’économie par les armateurs)


Le Chef des gardiens lui proposa de l’accompagner pour se rendre au marché des voleurs... et la racheter . On rigola de cette bonne blague. Le marché aux voleurs était une légende… croyait-on ! Quelques heures après, le Lieutenant revint avec la fameuse machine, nettoyée comme neuve, graissée et forcément remontée. Il n’avait dépensé que quelques centaines de roupies ! Quel Indonésien aurait pu utiliser un tel monument au chariot de quatre-vingt dix centimètres de long, datant peut-être de... Gutenberg, extraite des placards à reliques de la Compagnie, dont les secrétaires utilisaient maintenant des bécanes… électriques ?... Nous étions cependant encore assez loin du temps des ordinateurs !

Les pirates

Une petite industrie florissante était née dans les détroits indonésiens de la Sonde, Malacca, Gelusa ainsi qu’à l’Ouest de Bornéo. Des goélettes et côtres, fins comme des lames de sabre et survoilés, déboulaient soudain avec une nuée de pirates se ruant sur le malheureux caboteur essoufflé, la grosse jonque, ou la goélette marchande un peu encalminée. Les hors-bord de plusieurs centaines de chevaux, ainsi que les boudins en caoutchouc ultra légers, étaient bien sûr inconnus et ne flottaient pas dans le cerveau des techniciens en embarcations rapides.

Seules les armes blanches dont le fameux kriss malais, étaient utilisées. Les mitrailleuses, fusils mitrailleurs et lance-roquettes n’étaient pas encore dans la panoplie des pirates qui avaient du cran, de l’habileté et en fait peu d’instincts meurtriers. De notre cargo, nous n’avions rien vu en arrivant dans ces eaux, nous étions près de croire que la légende était amusante et nous n’y pensions plus.

En repartant vers Singapour, peut-être par le détroit de Gelusa, le vieux décida de faire une grande fête au passage de la ligne. La cérémonie battait son plein selon la tradition. Sa préparation avait été sérieuse et dans toute ma carrière je ne revis une telle fête. L’ambiance surchauffée par la bière qui coulait à flots, était aux chants et aux rires, tout le monde participait à la joie générale, le pacha en premier qui tenait une lance à incendie, pour se défendre si certains s’avisaient de l’asperger.

Soudain, la sirène gueula un coup long. Tout le monde sur le panneau de cale trois fit silence et leva la tête vers la passerelle.

  • Les pirates attaquent !... hurla le lieutenant de quart, qui ajustait bien le cap du navire pour passer entre les îles du détroit. En effet, quatre ou cinq voiliers rapides arrivaient de l’arrière et nous remontaient facilement. On y voyait des types aux mines patibulaires, aux armes blanches étincelantes dans le soleil. Ils s’apprêtaient à lancer des grappins pour escalader le flanc de notre coque à tribord.
  • Aux manches à incendie, vos couteaux à couper les grappins !... cria le Commandant.
    • Toujours affublés de leurs déguisements de corsaires avec peintures de visage en rapport, les hommes brandissaient leurs sabres de bois
    • et les gendarmes au chapeau de carton leurs pistolets en bois.
    • Le rasoir du barbier peint avec de la peinture aluminium était particulièrement menaçant.
    • Les manches à incendie crachaient leur jet le plus concentré.
    • Les hurlements diaboliques que nous poussions, avec menaces et injures étaient aptes à effrayer même les sourds.
  • A trois mètres du bord, les assaillants furent arrosés par les lances et Neptune lança son trident, c’était une foène emmanchée très longuement, qui par miracle, déchira le foc gonflé de la première embarcation.

Sur ordre venu d’on ne sait où, ces embarcations qui étaient comme des pirogues à doubles balanciers, filant vingt nœuds, virèrent lof pour lof toutes ensemble, dans un demi-tour parfait, sous les huées de l’équipage déchaîné !

Le navire ayant quitté l’île de Java, vous aussi mes amis fermerez cette page exotique. Je ne vous ai montré que le côté carte postale… la misère, la famine des ressortissants du dictateur de l’époque, les exactions et l’horreur… ne sont pas à notre programme… dites-vous qu’avec un menteux au clavier de l’ordi… ce n’était peut-être qu’un rêve… alors réveillez-vous, debout les vieux crabes… la mer monte… toutefois, indignez-vous !

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Kerdubon

UP


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1 Message

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  • 24 mars 2018 20:13, par yoruk écrire     UP Animateur

    Cette observation d’un officier de la Marine Marchande, qui réchauffe le cœur : la « jouissance particulière de voir grandir une île  » qui rejoint l’observation de tout plaisancier s’écartant un peu des sentiers battus. Et c’était encore bien plus puissant à l’époque où nous naviguions sans GPS : l’estime récompensée par un point qui grossit à l’horizon, puis, avant les oiseaux, pour peu que l’on soit sous le vent : les odeurs de l’île...

    C’était l’heure de remonter la bouteille de muscadet que l’on traînait, capelée par trois cabestans sur une garcette de quelques mètres... Elle était à la bonne température, du moins en Bretagne

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