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Publié Octobre 2014, (màj Novembre 2014) par : Négofol yoruk yvesD |
LES ORIGINES ET LES DIFFÉRENTS ASPECTS DU PROBLÈME
Présentation
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On peut faire commencer la navigation hauturière, chez les Européens, aux grands voyages de découvertes qui ont amené la reconnaissance des Indes occidentales et orientales, c’est-à-dire à la fin tout à fait du xve siècle. Du moins, c’est partir de cette époque que les voyages au long cours ont été entrepris en grand nombre, d’une manière permanente. Les Portugais, qui avaient reconnu auparavant la côte d’Afrique, s’avançaient simplement le long de cette côte ; et, comme les îles de l’Ascension et de Sainte-Hélène n’ont été découvertes qu’en 1501, et 1502, nous ne pouvons affirmer avec certitude qu’ils la quittaient quelquefois au retour.
Ce n’est qu’avec Diaz, en 1486, que nous sommes sûrs d’avoir un exemple de navigation en haute mer. On sait en effet que, parvenu par 26° de latitude sud en longeant la terre, il fit alors route au large pendant plusieurs jours ; mais bientôt, l’état si particulier de la mer et de l’atmosphère à la rencontre des eaux du courant des Aiguilles, venant du canal de Mozambique, et du courant froid de l’Atlantique sud, l’avertit qu’il devait avoir dépassé l’extrémité de l’Afrique, et il remonta au nord, ayant doublé, sans le voir, le cap de Bonne-Espérance. Si l’Afrique, au lieu de se prolonger jusqu’à la latitude de 35° seulement, s’était avancée, comme l’Amérique, de 20° plus au sud, Diaz aurait sans doute entrepris, en prenant le large, le plus long des voyages hors la vue de la terre accomplis jusqu’à lui.
D’ailleurs que ces inductions soient ou non exactes, l’itinéraire des successeurs de Gama n’est plus douteux. Cabral, en particulier en 1500, afin d’éviter les calmes de la côte de Guinée, et les vents de S.-W. qui soufflent entre les caps Palma et San Lopez, et sur les conseils de Gama, paraît-il, alla tellement dans l’ouest, qu’il atterrit au Brésil, vers 10° de latitude sud, point d’où il gagna le cap de Bonne-Espérance.
Les grands voyages hauturiers étaient donc entrés dans la pratique de la navigation aux environs de l’année 1500. Mais, si aujourd’hui même, la mer, parcourue et étudiée partout, impose au navigateur qui doit se mettre à l’abri de ses surprises, une veille continuelle, on conçoit combien ces premiers hommes qui perdaient la terre de vue pour de longs jours dans des conditions hygiéniques qui leur faisaient traverser de dures souffrances, devaient désirer des moyens de sauvegarder leurs vies et d’abréger leurs voyages.
Pour l’étude que nous désirons entreprendre, ces moyens comportent deux ordres de choses, très solidaires comme nous le verrons. Il faut :
Ainsi le problème du point à la mer, au large, a dû naître avec le long cours. C’était l’opinion des écrivains maritimes d’autrefois. Il devait se poser avec la navigation océanique ; tandis qu’il serait resté sans doute inexistant si la navigation avait continué à se borner aux mers intérieures. D’après Chabert, même à la fin du XVIIe siècle, on évitait autant que possible, en Méditerranée, de « faire canal », c’est-à-dire de perdre les terres de vue ; et on naviguait encore dans cette mer en allant de cap en cap, sous la conduite de pilotes régionaux. De telles pratiques ne pouvaient évidemment en rien faire avancer la science de la conduite du navire.
Mais le problème du « point » comporte, lui aussi, deux recherches de difficultés très différentes. L’une est la détermination de la latitude ; l’autre, celle de la longitude. Or, de tout temps, les marins ont pu aisément trouver leur latitude par des observations méridiennes faites d’abord à l’ « astrolabe » qui était devenu d’un usage courant au XVe siècle ; plus tard à l’anneau astronomique et à l’ « arbalestrille ». Il leur suffisait de tables de déclinaisons du Soleil et de quelques autres astres. Or les tables Alphonsines, parues en 1252, étaient imprimées en 1483 à Venise puis en 1488, 92, etc. ; celles de Bianchini en 1495. Nous en énumérerons d’autres. Il n’y avait donc aucune difficulté de ce côté.
En réalité, la question n’avançait pas et les indications qui précèdent n’ont qu’un seul intérêt : celui de montrer que le problème était bien posé et qu’on prévoyait dans quel sens il pouvait être résolu. Dés lors, les savants savaient comment orienter leurs efforts ; ils étaient prêts a faire profiter la science nautique des progrès réalisés en astronomie et en horlogerie ; et réciproquement le désir de découvrir la longitude devait accélérer ces progrès.
Il n’était pas besoin de donner quelques exemples, comme nous l’avons fait, pour montrer tout ce que ces procédés par l’astronomie ou par les horloges avaient d’impraticable à l’époque des premiers grands voyages de découvertes et dans le cours du XVIe siècle. Il eût fallu une astronomie, une physique, une technique infiniment plus avancées qu’elles ne l’étaient. Et si ces méthodes firent naître des illusions, ces illusions ne tardèrent pas à faire place à une simple déception ainsi qu’il résulte de textes contemporains. Même au XVIIe siècle et pendant la plus grande partie du XVIIIe, elles ne pouvaient, pratiquement, conduire à aucun résultat sur lequel on pût compter.
Le problème était facile à concevoir pour le commun des navigateurs d’alors, hommes souvent ignorants et si l’on n’avait pas les moyens de bien déterminer les éléments du problème c’est-à-dire les routes, les dérives et les courants, en direction et en vitesse, on pouvait en somme à bon droit alors, étant donné la grossièreté des instruments astronomiques et l’imperfection notoire des éphémérides, espérer qu’on parviendrait plus aisément à mesurer correctement des vitesses et des angles sur terre, qu’à assujettir les mouvements célestes à des règles sûres et exactes, et à en tirer parti.
C’est ce qui explique sans doute qu’au cours du XVIe et du XVIIe siècle la question de la loxodromie ait suscité tant d’efforts et qu’on ait pu fonder de très grandes espérances sur la solution pratique du problème de l’estime qui était, comme nous le verrons, définitivement acquise au commencement du XVIIe siècle, grâce aux travaux de Nonius, de Mercator, de Wright surtout. Ces réflexions, nous semble-t-il, font comprendre des passages comme ceux qui suivent, extraits encore du chapitre sur la longitude chez le P. Fournier : « C’est chose étrange d’entendre parler et lire les ouvrages de certaines personnes qui ont toujours demeuré dans leurs études sans savoir ce qui se pratique sur mer. Presque tous ont en tel mépris ce moyen icy (de l’estime) qu’à peine l’estiment-ils digne d’être réfuté. Toutefois, les belles spéculations que j’ai déduites… n’ont jamais aidé aucun pilote sur mer… » ; alors que « cette pratique qui est chez les beaux esprits tant dans le rabais est celle qui a enrichi notre Europe des mines et pierreries de l’Occident et des épiceries de l’Orient ; et si vous l’ostiez aux pilotes de l’Europe, pas un n’oserait monter sur mer. Je suis donc d’un avis bien différent ». Et il ajoutait « Par les moyens de l’estime vous faites une estime du degré de longitude où vous êtes parvenu, qui se trouve d’ordinaire si précis, quand il est judicieusement fait, qu’ou n’en viendrait pas à une plus grande précision par aucune voye mathématique ; les pilotes y sont si duits et y ont telle croyance qu’ils n’ont aucune difficulté d’y hasarder leurs vies et leurs moyens. » « Encore en 1635 est arrivé à Dieppe un vaisseau qu’on avait envoyé à l’île Morice, distante de plus de 1.300 lieues, à laquelle est arrivé heureusement le pilote sans qu’il y eut jamais esté… Je doute fort si ceux qui se fient tant sur leurs opérations astronomiques, oseraient avec leurs instruments, de tels voyages. » Et il avait raison, pour le temps dont il parlait. Quelque grossière et incertaine qu’était alors l’estime et qu’elle continue d’être relativement, elle était infiniment plus satisfaisante que les moyens astronomiques qui devaient finalement triompher mais pas avant la fin du XVIIIe siècle et après les immenses travaux que nous nous proposons d’exposer ; car le problème a passionné le monde savant et au XVIIIe siècle plus encore qu’aux siècles précédents. Et nous verrons qu’en fait si ce XVIIIe siècle a marqué le succès définitif des méthodes astronomiques et par les horloges, le XVIIe a été par contre le siècle qui a vu la solution complète, graphique et algébrique du problème loxodromique ; c’est celui ou ce problème est devenu d’un usage courant chez les marins.
Mais il y avait une deuxième méthode basée sur des observations uniquement terrestres, qui fut découverte dès les premières navigations en haute mer. Elle consistait à déterminer la longitude par l’observation de la déclinaison de l’aiguille aimantée, moyen qui a eu, comme nous le dirons, une très longue histoire. La première idée en revient incontestablement à Christophe Colomb ;
Nous allons maintenant étudier une à une les différentes méthodes indiquées ci-dessus et nées, on le remarquera, à peu près simultanément, aussitôt le problème posé ; et nous montrerons comment et pourquoi les méthodes certainement les plus difficiles en apparence à réaliser au début et les moins simples, au jugement des marins, c’est-à-dire celles qui avaient recours aux astres et aux horloges, devaient finalement triompher, au grand honneur des savants et des praticiens de génie, dont la ténacité finit par avoir raison du redoutable problème.
[1] On ne sait à qui attribuer la découverte de la déclinaison elle-même. Il semble, nous y reviendrons, qu’elle ait été longtemps confondue par quelques-uns avec les erreurs provenant des imperfections des aiguilles. ce qui n’était pas absolument blâmable. Quant à l’usage de la boussole sur mer il était connu et pratiqué à la fin du XIIe siècle ainsi que l’attestent les vers de Guyot de Provins, déjà connus du P. Fournier.