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Accueil du site > Grand Voyage > Turquie et Grèce > Escales exotiques - La danse des eaux turquoises

Rubrique : Turquie et Grèce

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Escales exotiques - La danse des eaux turquoisesVersion imprimable de cet article Version imprimable

Publié Août 2016, (màj Juin 2019) par : Collectif Salacia   

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Mots-clés secondaires: navigation_divers , Traditions_cultures

NDLR merci à “Kerdubon” capitaine, marin et explorateur de Grèce et de Turquie, d’il y a 50 ans

Escales exotiques


La danse des eaux turquoises

- 
Mon voilier hiverna en Grèce ou en Turquie pendant onze années. Prenant deux ou trois mois supplémentaires sans solde au bout de mes congés payés, je passais six mois d’été en mer Adriatique, Ionienne ou Egée, me prélassant au soleil du bassin de la Méditerranée Orientale, baignant mon séant dans des eaux turquoises, une… « mer qu’on voit danser le long des golfes clairs »

Certes ces mois de grand plaisir ont manqué à mes annuités de retraite… mais on peut dire que Madame Kerdubon et moi avons profité de nos années où nous étions pleins de vigueur… et ça mes amis… ça n’a pas de prix !

Cette année-là, nous étions descendu avec ma bagnole et mon chien en Turquie, jusqu’à Marmaris, où mon voilier avait hiverné. Notez qu’en allant vers le sud on descend, tandis que route vers le nord on monte. La pente n’est pas toujours visible ni raide…

Nous écumions d’escale en escale la côte turquoise entre Marmaris et Antalya, c’était au tout début des années 80.

Les exotes que nous étions quittaient souvent une baie où nous avions été seuls pendant une bonne semaine, pour aller dans une autre très fréquentée. Il nous fallait découvrir des Turcs toujours sympathiques lorsqu’ils étaient du petit monde du bord de mer, généralement pauvres du côté portefeuille, mais si riches du côté cœur. Nous n’avons pas été déçus !

Gumusluk

Nous étions rentrés dans la profonde baie de Gusmuslük emplacement de l’ex Myndus. J’avais à bord deux amis et un cousin prof d’histoire. Ils voulaient manger des cailloux antiques, ils furent déçus, car il ne reste aucune trace de la ville antique, si ce n’est quelques bouts des murailles qui furent autrefois imposantes.

Par contre, lorsqu’ils montèrent sur la colline encerclant la baie, après avoir contourné les maisonnettes fleuries, d’une blancheur immaculée, au style… béton cubique local… et étagées sur le flanc de cette montagnette, le panorama de la baie super abritée, fermée par une presqu’île rocheuse formant chicane, était magnifique et paisible dans le soleil couchant. Au dessus et au delà, le poiras (nom local du meltem), soufflait comme activé par un forgeron dément, Vulcain en personne !

En redescendant par le village, nous avons croisé une caravane de chameaux chargés comme des baudets. La caravane passa, aucun chien n’aboya ! Cette espèce canine d’animal était d’ailleurs quasiment invisible, à croire que les cabots sont mal venus… ou tabous. Etaient-ils tous passés à la casserole… ou bien comme le porc, totalement absents ?… mon cador qui avait monté la garde à bord fut consulté… Il ne nous donna aucune explication… encore un mystère oriental !


Dans les eaux turquoises qui dansaient dans un joli clapotis, devant le village, il y avait les vestiges d’un môle antique en totalité immergé. Passant par chance un peu au large de cet obstacle pour aller mouiller au fond de la baie, je ne l’avais pas vu, nous aurions pu le racler avec la quille. En fait j’aurais du me douter que Myndus avait un grand port… mais je ne suis pas prof d’histoire… ancienne…
Les eaux turquoises renferment bien des trésors que j’ignore !

- 

A ce propos, un après midi, où j’avais deux neveux plongeurs passionnés, ils me remontèrent une amphore tirée d’un tas provenant d’un navire antique coulé à cet endroit.

- Impossible de garder çà, ce serait la tôle assurée !....

Sur un autre site, lors de l’escale suivante, penauds, ils remirent l’amphore au fond d’une autre baie avec d’autres… sur une épave d’époque différente. Evidemment elle ne ressemblait pas à ses sœurs. «  Comme çà, les archéologues s’interrogeront ! »... me dirent-ils.

Marmaris

Après passage par le goulet entre les îles Keçi, l’étrange et verticale presqu’île Nimara fut doublée. Elle ferme au Sud la baie de Marmaris. Nous filions route à l’Est, vent arrière, le long d’une haute chaîne de montagne. Une faille d’un bon mille dans la chaîne, nous permit de virer à quatre vingt dix degrés sur bâbord et faire route au nord, pour pénétrer dans la très grande et profonde baie Karagaç, aux cent recoins, anses et criques. Elle s’étale d’Est en Ouest derrière la chaîne de montagne contournée.

Karaagac


Nous nous trouvions tout à coup dans un paradis de verdure et de ruisseaux cascadant. On mouilla d’abord dans l’anse Yörük jugée peu intéressante, puis dans celle d’Aksas, un endroit enchanteur, où dissimulés par un rideau d’arbres, nous étions à l’abri de tout regard et de tout vent, non loin d’une source et d’une rivière que nous avons remontée en zodiac, jouant aux explorateurs dans ces lieux montagneux quasi déserts, sans villages, sans cultures, plutôt boisés, parmi les chants d’oiseaux, les stridulations et crissements de cigales et autres insectes bruyants.
Nous étions embossés par l’arrière sur des arbres, et forcément mouillés par l’avant. Il me fallait ces eaux calmes pour achever mes travaux de peinture et vernis de fin d’hivernage : coque bleu nuit, pont et roof blancs.
Nous y avons séjourné deux semaines, sans qu’aucun caïque turc, aucun pêcheur ni plaisancier n’entrent dans la baie Karagaç pendant ce séjour prolongé, ce qui m’étonna. Le Meltem qui souffla par moments avec violence, ne nous dérangea pas du tout !
  • Quel jour sommes nous ?
    • Voyons voir… ma foi… nous sommes le 14 juillet !
    • Nom d’un chien ! Vive la République ! Sers-donc le Raki… puisqu’il n’y a plus de retzina !
  • J’en avais caché une bouteille au fond du frigo !

Ce n’est que bien après, lorsque j’achetai des cartes turques… à jour de toute correction, que je constatai que la baie Karagaç et ses environs, était «  zone militaire formellement interdite  »… Aux innocents les mains pleines !... On recommencera plus chef !... Cela expliquait l’absence de caïques et plaisanciers dans cette zone si fréquentée entre Rhodes, Marmaris et Féthiyé, de la côte turquoise.

L’absence de présence humaine n’était pas un miracle accordé par le panthéon céleste, mais une retombée militaire.

Ekincik et Dalayan

Dans une crique abritée par une pointe, juste en face du « Restoran », nous avions laissé tomber notre CQR qui s’ensouilla profondément par fond de dix mètres.
Ekincik était une baie que les divers guides ou instructions nautiques et autres renseignements obtenus au fil des temps, surtout auprès des copains qui l’avaient pratiquée, garantissent comme particulièrement sûre.
Il y avait au mouillage deux ou trois yachts charters et deux caïques promenant des touristes en croisière.

A ce propos, lorsque je demandai à l’un des sympathiques patrons d’un caïque : « Vous ne hissez jamais vos voiles bien ferlées ? »… Il me répondit : « Jamais… c’est trop dangereux !  »

La fréquentation de cette baie s’expliquait par l’embouchure un peu plus loin, mais sans abri, de la rivière menant à Dalyan une cité d’importance moyenne.

Après avoir emporté le cador à terre pour qu’il puisse se dégourdir les pattes, puis ramené à bord pour lui confier la casquette de gardien fidèle, nous pouvions donc aller en zodiac contourner le cap voisin et dans la baie qui jouxte, là où elle débouche, remonter la rivière de Dalyan, dans une forêt de roseaux élevés, des méandres et détours remplis d’oiseaux généralement palmipèdes.

Kaunos

Cette rivière était en fait l’ex fleuve Calbys, frontière entre les antiques royaumes Lyciens et Cariens. Sur son cours, Caunus (ou Kaunos), fut un des plus grands ports dès le Xème siècle avant JC, jusqu’à l’envasement complet de l’estuaire.
A travers marais et pêcheries, parmi les tombeaux lyciens taillés à flanc de falaise en forme de façades de temples avec leurs colonnes, le fleuve passait maintenant par les ruines de la riche et prospère cité antique. Le site de Caunus en ruine n’avait pas encore eu de fouilles archéologiques… il y a tellement de sites en Turquie !

Nous sommes enfin sortis de la forêt de roseaux. La rivière avait été barrée parfois de filets descendus au fond de l’eau pour notre passage, par une antique machinerie de bois, avec engrenages du… même métal, Les pêcheurs actionnant les manivelles de leurs étranges cabestans nous interpellaient joyeusement.

Nous avons accosté aux ruines de ce qui fut probablement un quai au bord du fleuve antique.

Le temps était magnifique, nous étions tranquilles et seuls explorateurs amateurs à bouiner comme des fouilleurs d’épaves.

Donc nous avons visité ces ruines en question, en crapahutant parmi le reste des pierres écroulées par divers tremblements de terre et autres catastrophes plus ou moins naturelles, écartant ronces ou herbes folles, pour apercevoir quelques sculptures et monuments plus en partie enfouis, mais dépassant de la terre d’argile souvent sableuse.

On y découvrit une lampe à huile en argile cuite, parfaitement intacte. Sa pointe émergeait d’une zone sableuse et tendre, dans la masse argileuse et sèche.

Nous avons ensuite poursuivi la remontée de la rivière devenue plus large jusqu’à Dalyan et mangé une friture dans une gargote. Le taulier vida nos assiettes et autres ordures… directement sous notre nez dans la rivière… il n’y avait que du biodégradable généralement comestible pour la faune poissonneuse.

De retour à bord, rien n’avait bougé sur la rade, le chien était calme et ne fit aucun rapport sur son emploi du temps. Je lui avais appris à lever la patte devant le dernier chandelier de l’arrière… sous le vent. Un coup de tête à droite ou à gauche, le museau en l’air lui indiquait la direction de la brise.

Catabatiques

La brise de mer était faible, bloquée en partie par le cap ne fermant pas réellement la baie. Deux autres voiliers charter et un caïque nous avaient rejoints au mouillage et leurs clients avaient déjà les pieds sous la table à la terrasse de la gargote illuminée de lampions faute d’électricité.

Par chance, les touristes, en goélands affamés par l’air du large, prêts à manger dès six heures du soir, n’avaient pas tout avalé lorsque nous les avons rejoints. Ils parlaient fort comme des Germains qui ne sont pas nos cousins, mais payaient en marks, lesquels à l’époque étaient plus respectés dans cette contrée que le dollar et forcément la lira locale, quant à nos francs… même lourds, je n’en parlerai pas, c’était comme de la roupie !

Je trouvais que l’air quant à lui devenait de plus en plus lourd, quoique n’ayant pas abusé du sharap rouge qui chauffe à 14°.

J’ai eu le tort de penser que c’était notre voisinage assez bruyant dans sa langue gutturale qui était pesant d’une part… et d’autre part de ne pas remarquer le calme étrange semblant régner dans l’atmosphère, au point d’avoir fait taire les piafs qui d’habitude à cette heure s’agitaient fort et bruyamment dans toutes les frondaisons où ils vont passer la nuit.

La soirée était bien avancée, le ventre rapidement plein, nous avons réglé notre ardoise.

C’est alors qu’arriva de terre une incroyable tornade.

Eole endormi avait-il fait un cauchemar ? Tout s’envolait, lampions soufflés, tables avec chaises, poulailler de l’établissement avec ses poules caquetantes de frayeur, papiers plus ou moins gras, torchons et serviettes ! Les navires à l’ancre firent tous un tête à queue et j’ai constaté que notre voilier comme les autres, dérapait en partance… vers l’Egypte, il n’y avait rien pour l’arrêter avant l’Afrique !

Ce fut une ruée sur les annexes tirées au sec. Le zodiac mis à l’eau, suivi de ma dame, je n’eus que le temps de sauter dedans, avant d’être emporté full speed, vent arrière, vers le large, sans même avoir démarré le moteur hors bord. A petits coups d’aviron, j’ai pointé le nez de l’annexe vers notre voilier, qui ne naviguait qu’à petite vitesse, ancre pendante au bout de quarante mètres de chaîne. Nous étions déjà bien au large dans une mer agitée, filant à toute vitesse, lorsque nous avons rattrapé notre cavale emballée. Le clébard était à la barre tout comme s’il avait un brevet de capitaine, mais n’avait pas su démarrer la bourrique ni hisser les voiles. Bien rincé par les embruns soulevés par le vent, ayant réussi à grimper à bord tandis que ma dame également trempée, devenue en quelque sorte dame de nage, amarrait le zozo sous l’œil inquiet du chien paré à sauter à l’eau pour obtenir la médaille des sauveteurs.

J’ai démarré la bourrique, rentré la ligne de mouillage et nous sommes repartis nous ancrer dans une autre crique, cette fois abritée du nord comme du sud, mais de toute façon la bourrasque était envolée bien loin en mer vers l’Afrique, Eole s’était à nouveau calmement assoupi et replongé dans des rêves paisibles où les souverains Satrapes devenus rois de Commagène, la région côtière, lui tirent leur révérence.

Quant à nous qui avions bien failli naviguer en zodiac jusqu’au pays des Lotophages pour récupérer le ketch vagabond si je n’avais saisi, au passage rapide le long de sa coque, sous le regard du chien impassible à son poste de commandement, le bout d’une écoute pendante que le vent avait chamboulée, nous pouvions souffler.

Le nouveau mouillage effectué, il nous resta à prendre… non pas un grand ris dans la grand voile, mais un petit digestif réconfortant !

  • Pas d’eau turquoise dans mon black whisky s.v.p. madame Kerdubon !

Fethiye

Le port de Fethiyé était un point de passage et de ravitaillement obligé les yachts qui vont le long des côtes de Turquie. Je vous ai conté quelques mouillages dans les criques et anses aux eaux turquoises et si claires du golfe, que dix mètres en dessous notre pont, la faune et la flore vivaient sous notre regard.

Ayant différents achats à faire dont nos billets d’avion pour un retour à la fin de notre séjour qui approchait, j’ai mouillé juste en face du port pour avoir du calme.

Un matin, laissant la garde du navire au chien, nous avons pris le zodiac madame Kerdubon et moi-même, pour aller à quai procéder à nos emplettes au marché et dans une agence de voyage.

  • A l’agence de voyage locale, la panique nous frôla un instant.
    • Où as-tu mis la pochette ?
    • Sensément dame, j’ai du l’oublier à bord !
    • Non, je t’ai vu la descendre en même temps que les sacs poubelle dans le zozo !

La précieuse pochette de cuir contenait les passeports, d’autres papiers et pas loin de 2 briques (proche de 3000 €)…le reste de notre budget vacances et avion…. Pourquoi n’avais-je pas une banane comme les toutous normaux ?

  • Nous allons refaire le parcours à l’envers aussi quoaah !

Les poubelles étaient très hautes. Je fis un rétablissement. Plongé à mi-corps à l’intérieur du bac plastique, mes pa-pattes fouettaient l’air qui commençait à devenir bien chaud, tandis que mes mains dégageaient les ordures accumulées pardessus les miennes depuis mon passage. Vu l’odeur et l’abondance des mouches, j’avais bouche close et j’évitais de respirer.

Ouf ! J’ai retrouvé ma précieuse pochette un peu salie, mais au trésor contenu intact ! Si les poubelles avaient été moins hautes, le découvreur étonné par ce trésor aurait mis main basse sur une… pochette surprise !

  • Tu vois affreux Jojo… cette poubelle n’avait jamais été aussi riche !
  • Qui a dit que l’argent n’a pas d’odeur ?

Kalkan

Plus est encore sur la côte turquoise, à Kalkan, un quai flambant neuf me permit d’y mettre le tableau du voilier après avoir mouillé loin devant. Il y avait même un robinet sur ce quai ! J’avais une équipe de neveux et nièces à bord, nous étions neuf, ma cuve à eau douce ne faisait que trois cent litres… les demoiselles n’avaient pas l’habitude d’être rationnées !

Pour les garçons, la corvée d’eau commença donc avec des bidons à transvaser, tandis que les demoiselles prirent leur douchette non pas dans la salle de bain, mais avec celle situées tout à fait à l’arrière sur le pont, pour éviter de ramener du sel à bord après les baignades. Elles s’installèrent sur le planchon nous reliant au sol, à cinquante centimètres du nez des curieux turcs qui s’agglutinaient de plus en plus nombreux, imaginant peut-être qu’elles… s’offraient tout bonnement comme les prêtresses antiques des temples de Dyonisos ou Pan !

  • Joachim… quelque chose est anormal… montes-donc voir !... m’appela madame Kerdubon.
  • M’extirpant de ma cabine, je m’écriai d’un air affolé :
    • Nom d’un chien !... êtes vous devenues folles !... Rentrez immédiatement à l’intérieur, vous allez créer une émeute !
  • Quoi  ?... minauda celle qui se croyait la plus belle… on ne peut plus prendre sa douche les seins à l’air  ? . Sont-ils si arriérés ?... Ce que tu es rétro !... Les badauds d’origine paysanne, demeurant à des centaines de kilomètres d’une grande ville, voilant leurs femmes et leurs filles, n’ayant rien connu d’autre que les charmes de leurs épouses ou à la rigueur ceux d’une biquette… furent déçus. Il est certain que l’histoire aurait pu mal finir pour tous. Lorsqu’on déchaîne les instincts primitifs, jusqu’où cela peut-il aller ?... Elles me firent pratiquement le même coup à Mégistri l’escale suivante, mais j’avais tellement gueulé qu’elles prirent leur douchette… en maillot de bain… ce qui n’est pas pratique et vraiment… rétro, il faut en convenir !

Kas

En pénétrant à l’abri de la jetée dans la rade portuaire de Kaç, on pouvait repérer au fond un théâtre Grec antique apparemment en parfait état, puis à côté la mosquée d’un blanc immaculé, preuve évidente que les siècles ne se ressemblent pas du moins quant à leur religion pratiquée.

Dans ce début des années 80, le village était resté moyenâgeux, avec ses petites maisons de torchis passées à la chaux blanche, aux bois de galandage noircis par les ans, avec ses ruelles de terre où cimentées avec caniveau central. Les poules et canards erraient parmi les petits tas d’ordures, et ne se dérangeaient pas pour vous laisser passer.

Au balcon d’une de ces maisons où pendaient des tapis mis à… dépoussiérer, une fillette ravissante étonnée de voir des étrangers, nous fit un sourire… digne de Lolita.

L’Officier de port de la Capitainerie était des plus sympathiques. On aurait pu dire après une après-midi de balade, qu’il faisait bon vivre ici. La cupidité semblait inconnue et la religion peu intégriste laissait un peu de joie de vivre à ses ouailles…. En quelques années, les choses et les gens changèrent, notamment le capitaine du port et la municipalité.

En attendant, le mauvais temps ayant privé de ravitaillement pendant trois mois Castellorizo… ou plutôt Mégistri, le ferry ne pouvant venir de Rhodes, j’ai fait plusieurs rotations entre l’île grecque et Kaç pour charger de l’huile, des fayots, du beurre de la farine et autres denrées achetées aux cousins de mes amis de Castel… car des deux côtés du bras de mer, le cousinage était important.

Lorsque je revenais à quai … des deux côtés du bras de mer qui les sépare, inutile de vous parler de la fête qui suivait !… L’exote en moi était ravi on s’en doute. Même le pope qui se promenait dans les rues de Castel avec une sten (mitraillette) en bandoulière pour parer à une attaque des Sarrazins ou Janissaires Turcs, trouvait normal de manger ce qui venait de la terre ennemie.

A la fin de mon séjour dans les eaux turquoises, lorsque j’ai remonté depuis Kemer jusqu’à Egine en 1989, je me suis arrêté à Kaç soit cinq ou six ans après ma première visite si charmante.

Nous avons eu droit à un beau cinéma ! Le voilier qui était mouillé à côté de nous, était loué par des Allemands. L’affaire à la Cloche merle… était à la fois grave et… merdeuse si l’on peut dire.

En effet, un arrêté pondu (c’est encore le cas de dire) par les autorités locales interdisait aux yachts d’utiliser leurs WC. Les gentleyachtmen de plus en plus nombreux devaient aller aux toilettes publiques… c’est-à-dire les cabanes rustiques édifiées au bout du quai et bien sûr payantes. Le plus drôle était que ces toilettes publiques quant à elles, étaient reliées directement aux eaux portuaires par un simple tuyau débouchant dans l’eau turquoise, au vu de toute la rade !

Une ligne de gosses postée sur le quai et la jetée était en observation pour vérifier le respect de l’arrêté.

Or la pompe des WC du voilier allemand, aux dires des gosses, avait fonctionné et refoulé une eau…douteuse et maronnasse, son contenu naturel. Les autorités portuaires affrétèrent par réquisition, la barque d’un pêcheur navré de l’incident. L’amende que devait payer le yacht était considérable, les palabres durèrent, puis finalement le skipper cracha, mais cette fois au bassinet !

  • Pourquoi n’avez-vous pas immédiatement appareillé ? Avec leur barque, ils n’auraient pu vous rattraper !... demandais-je au Germain.
    • Bah !... pour quelque pfennigs !
  • Amen, à la vôtre !

Finike

Je vous ai également parlé de Kekova et du dédale menant à Ucagiz où résidait Tony un bandit sympathique qu permit à un exote comme moi de découvrir un genre de personnage… un autre… que je n’aurais pas soupçonné.

Non loin, il y avait le petit port de pêche de Finike. Les eaux turquoises en ce lieu sont devenues… phéniquées, c’est à dire domptées, aseptisées, stérilisées bref… imbuvables avec une grosse marina qui protège des sauvages coups de vent descendant brutalement du mont Taurus dominant la région de ses trois mille mètres.

En allant ou en revenant de Kemer, j’y faisais escale. Les pêcheurs du banc des menteux qui existait sur le quai longeant le village me connaissaient et n’hésitaient pas à entamer des palabres. Un gamin les ravitaillait régulièrement en çai (thé) dans des petits verres forts sucrés et ils m’en offraient.

Comme d’habitude entre exotes découvrant l’autre, les questions « d’ où-viens-tu ?… que fais-tu ?… comment est ta maison ? »… etc… avec leurs réponses, faisaient qu’ils connaissaient bien des choses sur moi, y compris mon métier de marin, l’imagination suppléait au non dit. Je n’avais surtout pas révélé que j’étais Capitaine… et même mon chien qui me suivait ne me trahissait pas. Quant à madame Kerdubon… en bons pratiquants de leur religion… ils n’auraient pas adressé la parole à une femme. J’étais donc mathurin… comme ils avaient été.

Un jour, un jeune pêcheur, détonnant parmi ces vieux, vint s’aligner sur le banc comme un goéland à côté des autres sur une jetée. Manifestement les mathurins plus ou moins retraités… si une retraite existait… n’appréciaient pas sa présence.

Me voyant débarquer de mon zodiac, le jeune attendit impoliment ma présence pour demander aux autres : «  Quel est ce touriste ? »… L’un des vieux crachant un mégot au delà jusque dans les eaux du port lui répondit :

  • C’est un ferblantier !… Il a une usine qui fabrique des médailles pour les décorations décernées par son gouvernement !… Quand son pays sera aussi riche que l’Allemagne, les médailles seront en cuivre et il sera chômeur !

Dolmüs

Le bus long courrier reliant Antalya à Izmir, fonçait dans la nuit. Sur la grande route encombrée de camions où les chauffeurs pratiquaient une conduite chacun pour soi… au plus fort la pouque. Le Captain chauffeur, casquette et épaulettes à poste avec galons rutilants, ne pouvait se permettre d’être distrait sur ce très long parcours.

Nous avions mis notre voilier en hivernage dans la marina de Kémer et nous achevions nos congés, je devais bientôt repartir sur un navire de commerce que je commandais et pour cela prendre l’avion à Izmir.

  • Des paroles fortement criées et une agitation certaine, nous tirèrent du sommeil qui nous avait gagné Madame Kerdubon et moi.
    • L’assistant du chauffeur assis dans le fond du bus se leva et le chauffeur finit par arrêter sa grosse bête dans un crissement des freins qui acheva de mettre tout le monde sur pied. Il alluma tout l’éclairage intérieur.
    • Un type juste derrière moi se plaignait, car quelqu’un lui avait piqué son portefeuille. Seuls étrangers, non musulmans par-dessus le marché, tous les regards étaient pointés sur nous. L’allure de certains passagers était carrément hostile, on aurait dit que nous étions murs pour être lynchés ! Allait-on nous couper une main ?… l’intégrisme était en pleine résurrection au pays du Grand Turc !
  • Très digne le Captain qui caressait sa grosse moustache arriva et calma les gens, puis se penchant vers le gamin assis à côté de la victime du vol, fouilla sa poche et sortit le fameux portefeuille ! Il le remit à l’heureux propriétaire reconnaissant, gifla le gamin et le fit descendre du bus en pleine nuit dans la campagne peu habitée des montagnes du centre de la Turquie ou rôdaient encore des ours sauvages.

Arrivés à bon terme à l’heure prévue au petit matin à Izmir, un type de la gare des bus nous mena dans l’appartement d’un particulier. La location pour la journée et la nuit suivante était bien moins onéreuse qu’un hôtel ordinaire, sans parler de ceux pour touristes.

Bien reposé, je me rendis compte que j’avais oublié ma veste probablement dans le bus. Elle me manquerait à l’arrivée à Paris, c’était certain. Avant d’acheter une autre doudoune, nous sommes retournés à la gare routière. Mes explications furent écoutées et cinq minutes après, ma veste me fut rapportée sans qu’il manque quoi que ce soit dans les poches.

Les petites gens de Turquie ont toujours été merveilleuses et amicales, j’en garde des souvenirs sympathiques. Je n’en dirai pas autant des cols blancs et fonctionnaires redevenus avides de bakchichs depuis la fin de la dictature des militaires.

On raconte que lors de cette dictature, dès son début, les gens avaient eu vingt quatre heures pour apprendre à être honnêtes, sous peine des pires sanctions… il suffisait de prononcer le mot tourist police (brigade spécialement crée)… pour cesser d’être importuné ou arnaqué par des commerçants malhonnêtes !... avec le retour des civils au pouvoir, les pratiques ancestrales avaient repris chez ceux disposant d’un certain pouvoir.

Le bon sens

Aller de la Grèce du nord ou d’Athènes à Antalya dans l’est de la Turquie vent portant, même par fort meltem est un plaisir. Revenir à l’inverse, nous dirons… remonter, est une autre paire de manches !

Le nombre de bords à tirer contre vent et courants est considérable, notamment au passage des « sept caps » Le vent vous fait danser jusqu’à épuisement dans les eaux turquoises. Les escales paraissent alors des bénédictions !

Les malheureux qui n’avaient qu’une petite paire de semaines et louaient un voilier à remonter de Rhodes à Athènes l’ont bien connu. Ils auraient du se demander pourquoi le prix était inférieur à celui des voiliers loués d’Athènes à Rhodes, ce qui les avait incités à faire une petite économie… mais le vent ne perturbe que faiblement les voiliers sur le bassin des Tuileries ou à la rigueur sur le lac du bois de Boulogne, alors comment pouvaient-ils savoir s’ils imaginaient que la croisière ne serait qu’une partie de plaisir ?

Maintenant les sites météorologiques et les récits des nombreux navigateurs en eaux turquoises les renseignent, ils ne commettent plus cette erreur, sauf les véritables mangeurs d’écoute… dont je n’ai jamais été. Cependant il m’a bien fallu… remonter, moi aussi, mais j’avais… le temps, cela m’a pris trois étés, la danse sur les eaux turquoises ne m’a pas épuisé !


Kerdubon

UP


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1 Message

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  • Catabatiques

    NDLR : c’est moi qui ai qualifié le phénomène perçu par Kerdubon à Ekincik. Sa description correspond bien aux catabatiques : dans la soirée, absence de vent, atmosphère lourde et chaude... Et brutalement la rupture, littéralement le ciel vous tombe sur la tête avec la rupture de l’inversion des masses d’air (air chaud stable au sol et air froid lui aussi stable en altitude, bloqués sur une pente).
    Ce n’est que récemment que l’on s’est intéressé au phénomène...
    Michel

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